L’expérience personnelle est souvent l’étincelle du démarrage d’une nouvelle entreprise, et c’est peut-être encore plus vrai dans le secteur florissant des boissons non alcoolisées.
« Je cherchais à perdre du poids avant mon 40e anniversaire… et je calculais le nombre d’IPA (India Pale Ale) que je buvais en une semaine et le nombre de calories supplémentaires que cela représentait », explique Mitch Cobb, copropriétaire de Libra Non-Alcoholic Craft Beer, et de sa société sœur Upstreet Craft Brewing, à Charlottetown, à l’Île-du-Prince-Édouard. « J’ai décidé qu’il me faudrait probablement réduire ma consommation d’alcool pour y arriver. »
C’est le même refrain pour tous les gens qui travaillent dans ce secteur en plein essor.
« Il y a deux ans, lorsque j’ai ouvert mon magasin, beaucoup étaient dubitatifs », se souvient Benson Mutalemwa, le propriétaire de Knyota Non-Alcoholic Drinks dans le centre-ville d’Ottawa. « Il est naturel pour une personne qui boit de l’alcool de ne jamais s’arrêter pour se demander s’il ne peut pas en être autrement. Je suis donc convaincu que l’expérience personnelle détermine la plupart des initiatives menées par les entreprises dans ce domaine. »
L’autre prise de conscience nécessaire et déterminante a été, comme le dit succinctement M. Cobb, la suivante : « Je me sentais très seul lorsque je sortais avec des amis et que je ne faisais que boire de l’eau ».
Chris Pagliocchini est du même avis. Le copropriétaire de ONES Non-Alcoholic Wines, dans la vallée de l’Okanagan en Colombie-Britannique, affirme que ses clients se plaignent souvent que, dans les situations sociales, « ils se sentent obligés d’avoir quelque chose à la main et, à vrai dire, une boisson gazeuse comme le Coca-Cola ne fait pas l’affaire ». Lorsqu’on tient une bouteille ou une canette de vin non alcoolisé, disent-ils, « Personne ne dit rien. On dirait que c’est une boisson alcoolisée et que je fais partie du groupe. »
Le secteur des versions non alcoolisées de boissons qui contiennent habituellement de l’alcool se développe. M. Cobb affirme que la bière sans alcool est le secteur du marché de la bière qui connaît la croissance la plus rapide au Canada, bien qu'au départ cette croissance ne représentait qu'une petite portion de moins d'un pour cent.
Le marché du vin sans alcool connaît aussi une croissance, même si M. Pagliocchini, qui a travaillé 14 ans à Agriculture et Agroalimentaire Canada, estime que ce secteur accuse quelques années de retard par rapport à celui de la bière.
Le vin sans alcool existe depuis longtemps, dit-il, mais il se trouve généralement « sur l’étagère du bas, couvert de poussière ». De plus, il est fabriqué à partir d’ingrédients de qualité inférieure, auxquels on ajoute du sucre pour en masquer le mauvais goût.
« Si vous prenez un vin de qualité supérieure, comme un bon cabernet sauvignon, et que vous en réduisez le taux d’alcool, le goût sera différent », explique-t-il. « Si vous utilisez de meilleurs ingrédients, vous obtiendrez un meilleur produit. »
ONES s’associe avec des viniculteurs près de son siège social à Summerland, en Colombie-Britannique, et depuis peu avec d’autres de partout au Canada.
« Nous nous rendons dans des caves, nous dégustons tous ces vins formidables et nous choisissons ceux qui, selon nous, feraient de bons vins sans alcool. »
On obtient, après le processus de filtrage de ONES pour éliminer l’alcool, une gamme de vins en bouteille et en canette qui ne contiennent ni sucre ajouté ni autres édulcorants artificiels. L’entreprise produit des vins blancs, rouges et rosés, ainsi que des cépages occasionnels, et les vend sur le site Web de ONES et dans des magasins de détail partout au pays.
Knyota est l’un de ces magasins. Ce nom signifie « petite étoile » en swahili, explique M. Mutalemwa. « J’ai choisi ce nom pour souligner le fait que nous avons tous nos propres motivations, notre propre étoile polaire qui guide nos décisions et notre façon de voir le monde. »
Dans son magasin et en ligne, M. Mutalemwa vend des dizaines de produits, dont de la bière, du vin et des spiritueux, et fait déguster des boissons non alcoolisées, comme le ferait une vinerie ou une brasserie typique. Selon lui, ONES et Benjamin Bridge, en Nouvelle-Écosse, sont les deux principaux viniculteurs canadiens qui « s’intéressent activement à ce secteur ».
Il indique que ses clients sont de groupes d’âge différents et que leur motivation varie. Certains évoquent des raisons de santé pour justifier leur souhait de consommer des boissons non alcoolisées, tandis que d’autres ont simplement fait le choix de vivre leur vie « en pleine conscience. Les gens choisissent ce type de produits pour toutes sortes de raisons. »
Beaucoup de ses clients consomment de l’alcool, dit-il, mais ils souhaitent avoir la possibilité d’en boire moins ou d’acheter des boissons pour que leurs invités qui ne consomment pas d’alcool se sentent inclus. De récentes données provenant des États-Unis montrent que plus de 80 % des personnes qui achètent des boissons non alcoolisées achètent également des boissons alcoolisées.
Les avantages pour la santé peuvent être immédiats, et vice-versa. À court terme, on ne risque pas d’avoir la gueule de bois. À plus long terme, on peut consommer beaucoup moins de calories. Un verre de vin de 5 onces contient généralement environ 125 calories, alors qu’un verre de vin ONES seulement 18.
Une canette d’IPA sans alcool Libra contient 50 calories, précise M. Cobb, alors qu’il y en a plus de 200 dans une canette d’IPA classique. Il reconnaît que beaucoup de clients boivent de la bière ordinaire et de la bière sans alcool, commençant par la première puis optant pour la seconde, une pratique que l’on qualifie de zébrée.
Libra expédie ses produits à environ 1 500 détaillants au Canada, dont Sobeys, Loblaws et Costco. M. Cobb estime que son entreprise a produit huit ou neuf variétés différentes de Libra, dont des IPA, des pilsners, des stouts et divers produits saisonniers.
« L’objectif était d’essayer de créer toute une gamme de types de bières pour plaire à tous ceux qui aiment consommer de la bière artisanale. »
Les boissons « non alcoolisées » sont-elles sûres pour tout le monde?
Pas nécessairement.
Bien que de nombreuses boissons ne contiennent que 0,4 % d’alcool – ce qui, comme le dit un brasseur, est « équivalent à ce que l’on trouve dans un kombucha ou même un jus d’orange » (en raison de la fermentation de la levure sauvage dans le jus) –, elles peuvent présenter des risques pour la santé de certaines personnes.
Par exemple, pour les anciens alcooliques, la présence d’une trace d’alcool dans les boissons étiquetées comme non alcoolisées ou sans alcool peut avoir un effet déclencheur.
Pour ce qui est des femmes enceintes, le Collège des médecins de famille du Canada les met en garde : « Étant donné qu’on ne sait pas quelle serait une consommation d’alcool sécuritaire pendant la grossesse, l’abstinence de boissons non alcoolisées éliminerait tout risque de trouble causé par l’alcoolisation fœtale » et il recommande ce qui suit : « pour s’assurer que le nourrisson ne soit pas exposé à de l’alcool, il vaudrait mieux retarder brièvement l’allaitement après en avoir bu ».
Les experts recommandent généralement aux personnes qui souffrent de problèmes hépatiques ou d’autres problèmes de santé susceptibles d’être aggravés par la consommation d’alcool de consulter leur médecin avant de boire des boissons non alcoolisées.
Qu’entend-on réellement par « sans alcool »?
Au Canada, l’étiquetage des boissons « non alcoolisées » est complexe, car il est contrôlé par les autorités provinciales et, puisque ces boissons sont non alcoolisées, il l’est aussi par l’Agence canadienne d’inspection des aliments.
En règle générale, les boissons ayant un TAV (titre alcoométrique volumique) de moins de 0,5 % sont considérées comme étant « sans alcool ». La réglementation sur l’étiquetage varie d’une province à l’autre et en fonction du fait qu’un produit traverse ou non les frontières provinciales.