Selon l’Enquête canadienne sur l’utilisation de l’Internet (ECUI) de 2022, les aînés de 65 ans et plus constituent le groupe démographique pour lequel l’adoption d’un téléphone intelligent a connu la croissance la plus rapide, avec une hausse de 11 points de pourcentage en seulement deux ans (entre 2018 et 2020). Bien que les aînés les utilisent beaucoup moins que les adolescents et les adultes en âge de travailler, près des deux tiers de tous les Canadiens utilisent leur téléphone intelligent au moins une fois l’heure. L’étude suggère que plus on vérifie souvent son appareil, plus le niveau de satisfaction avec les connaissances, les amis et la famille baisse.
Ancien banquier devenu auteur, concepteur de style de vie de retraite, Mike Drak, 70 ans, se décrit comme un « rebelle de la retraite ». Il blâme les créateurs des médias sociaux.
« C’est fait pour être addictif, n’est-ce pas? », lance-t-il. « C’est fait pour vous attirer. C’est fait pour vous faire passer des heures à faire défiler toutes ces absurdités. Et je commence à penser que c’est tellement répétitif. »
La mission de M. Drak consiste à lutter contre ce qu’il qualifie de choc de la retraite, à savoir la dépression entraînée par la transition de ne pas avoir à aller travailler tous les jours.
« On estime qu’un retraité sur trois souffrira de la retraite », dit M. Drak. « Mon père en a souffert. Un de mes bons amis en est mort. Il a fini par boire jusqu’à en mourir. »
Le défilement obsessionnel des sites d’information ajoute à la détresse, à son avis.
M. Drak prêche les vertus de l’autodiscipline et de la positivité, et évoque les méfaits de rester affalé sur le divan à regarder la télévision. Il fait du bénévolat à sa banque alimentaire locale un jour par semaine et parle à n’importe quel groupe qui l’écoutera. Et, même s’il a un surpoids de 45 livres en ce moment, et qu’il est considéré comme étant obèse, lui et ses copains songent à participer à la compétition Iron Man d’Ottawa cette année.
« Je sais que je vais être à l’arrière du peloton, parce que je ne suis pas rapide », déclare M. Drak. « Nous allons tous avoir de la difficulté, mais nous allons tous en rire parce que nous nous disons que c’est dément, mais que nous prenons plaisir à le faire. On dirait que nous jouons, comme des enfants. »
Marisa Young, sociologue à l’Université McMaster, affirme que l’exposition constante à des nouvelles négatives peut vraiment nuire à notre bien-être mental. Cela peut créer un sentiment de stress continu, s’apparentant à un bruit de fond ou ce que nous appelons un « stress ambiant » qui ne disparaît jamais vraiment. Les sociologues qualifient cela de « prolifération du stress », où un type de stress pénètre dans d’autres sphères de la vie.
« L’objectif n’est pas d’éviter complètement les actualités, mais d’être plus intentionnel sur la façon dont nous les consommons », explique Mme Young.
Matthew Johnson est directeur de l’éducation chez HabiloMédias, le Centre canadien d’éducation aux médias numérique. Le Centre est bilingue. Dans le passé, les études et les activités de cet organisme ciblaient les jeunes, mais il élabore de plus en plus de ressources pour les aînés.
« En tout premier lieu, je dirai qu’ils ne sont pas seuls », affirme M. Johnson, soulignant qu’il s’agit d’un problème qu’on éprouve à tout âge, aujourd’hui. « Qu’est-ce que ces différentes choses nous font ressentir? Estimons-nous que nous contrôlons notre utilisation des médias? »
M. Johnson dit que le défilement morbide, un phénomène compréhensible pour les Canadiens à l’ère Trump 2.0, commence par l’envie positive de se tenir au courant, mais devient incontrôlable.
« La plupart d’entre nous n’exercent pas de contrôle sur ce qui se passe dans le monde et en apprendre davantage à ce sujet peut sembler être une méthode pour se sentir plus en contrôle », mentionne M. Johnson. « Et nous savons aussi que les répercussions émotionnelles représentent l’une des retombées importantes des médias, en particulier des médias sociaux. »
Les études menées par HabiloMédias montrent qu’une publication qui vous met en colère vous rendra plus susceptible de réagir et d’y consacrer du temps. M. Johnson ajoute que l’un des facteurs les plus importants pour savoir si l’utilisation de l’écran a une incidence positive ou négative sur nous consiste à déterminer si nous pensons que nous contrôlons l’expérience.
Cela dit, HabiloMédias ne considère pas ce comportement comme une dépendance à Internet parce qu’il n’est pas chimiquement addictif, comme la nicotine.
« Si nous le décrivons comme des habitudes qui nous influencent, alors nous sommes fortement influencés par les habitudes », explique M. Johnson. « Mais des habitudes, cela se change. »
M. Johnson déclare que les activités de navigation sur le Web ne sont pas toutes néfastes, et que certaines activités à l’écran, comme vérifier la météo, peuvent avoir un effet positif. L’épreuve de vérité consiste à déterminer si on se sent en contrôle de ses actions.
Une bonne habitude à adopter est de se demander, avant de commencer à faire défiler son écran, « pourquoi je fais ça? », dit M. Johnson. Si on répond qu’on veut se distraire, alors tout va bien, tant que vous ne vous perdez pas dans un tourbillon de liens.
Une autre bonne habitude consiste à régir le temps qu’on s’accorde pour une tâche comme vérifier la météo.
Enfin, il faut penser à ce que l’on fera après avoir regardé le téléphone.
« Nous ne pouvons pas prétendre que les règles du jeu sont équitables », dit M. Johnson. « [Ces contenus] sont conçus pour que nous continuions à les utiliser, qu’il s’agisse de personnes ou d’organisations qui essaient de retenir notre attention. Nous nageons à contre-courant de ces forces. »